Viene qui proposta un’intervista al Patriarca – in occasione della Visita del Santo Padre a Nordest – pubblicata sabato 7 maggio da “La Croix”, quotidiano francese (per leggere una traduzione sommaria cliccare qui):
Benoît XVI se rend à Venise les samedi 7 et dimanche 8 mai. À la basilique de la Salute, le 8 mai au soir, il doit prononcer un discours adressé au monde de la culture et de l’économie.
Le cardinal Angelo Scola, qui accueillera le pape dans son diocèse, invite le christianisme, dans une société plurielle, à se dire avec force et simplicité.
Le titre de votre dernier livre peut se traduire en français De bonnes raisons pour vivre en commun . Y a-t-il aujourd’hui une crise du « vivre ensemble » ?
« Je n’aime pas beaucoup, en général, parler de « crise ». Ce mot s’applique à des évolutions internes propres à des phénomènes qui nous sont déjà connus. Alors que les changements que nous vivons aujourd’hui, ce qu’on appelle le « post-modernisme », les évolutions provoquées par le génie génétique, les neurosciences, le « métissage » des civilisations, les mobilités en tous domaines, etc.. sont totalement inédits.
Je dirais plutôt que notre époque est en « travail », au sens d’un accouchement, d’un enfantement. Comme une femme qui accouche, nous ressentons les fortes douleurs de l’enfantement, mais nous savons déjà que celui-ci va donner lieu à une grande joie. Au milieu de tout cela, il nous faut chercher, et trouver, de bonnes raisons pour rester ensemble.
Dans notre société devenue plurielle, les sujets individuels et communautaires, issus de mondes divers, religieux ou non, doivent vivre ensemble : cela est une exigence élémentaire. Et il nous faut choisir de transformer ce bien social naturel en valeur politique choisie. Car les institutions doivent pouvoir garantir ce « vivre ensemble ».
Je pense que ce concept pourrait être le nouvel « universel » politique. Ce qui suppose de la part de chacun une attitude de « narration continue » en vue de cette reconnaissance mutuelle. Il faut avoir le courage de « se dire » et de « se laisser dire ». Car plus la société est plurielle, plus elle est tendanciellement conflictuelle. Donc, chaque sujet doit pouvoir « se dire » et accepter de « se laisser dire », en vue d’une reconnaissance réciproque.
La laïcité peut-elle faciliter cette reconnaissance réciproque ?
Dans un tel contexte, la narration des hommes religieux doit pouvoir se développer sans problème. Sauf si une certaine laïcité vise à la neutralisation des sujets.
Par exemple, j’ai la conviction que seule une société fondée sur une famille ancrée dans le mariage entre un homme et une femme vivant une relation fidèle et ouverte à la vie, peut véritablement « régir » l’enfantement dont nous parlons. Je souhaite par conséquent pouvoir l’exprimer, le proposer, le comparer à d’autres visions des choses au sein de cette société civile.
Mais aujourd’hui, la pensée dominante consiste à dire : « Si je suis convaincu que ma conception est la meilleure, je peux en vivre, pourvu que je laisse les autres vivre leur propre conception. »
La véritable liberté ne consiste pas à s’abstenir de proposer sa conception. Au contraire. Il y a là une équivoque de fond qui empêche nos sociétés pluralistes d’être constructives. Les institutions gouvernementales ne peuvent se contenter de gérer la diversité, mais doivent la gouverner. À la fin elles devront aussi légiférer, selon les procédures établies propres à une société civile démocratique, à partir de la tradition ou l’opinion majoritaire, dans le respect des droits authentiquement fondamentaux de tous.
Cela suppose une véritable qualité intellectuelle et éthique des gouvernants..
Exactement. C’est un vrai défi dans l’Europe d’aujourd’hui.
Si vous étiez archevêque d’un diocèse sécularisé, quelle serait votre priorité pastorale ?
Ne nous leurrons pas : même Venise est sécularisée ! Je pense que nous, chrétiens, devons proposer, avec une grande simplicité, Jésus et son Évangile, comme possibilité pour une plénitude de vie humaine aujourd’hui. Nous devons, à travers notre vie, et toutes les formes de communication possibles, témoigner la crédibilité de l’être chrétien.
Le problème de la déchristianisation est lié au fait déjà mis en évidence par Paul VI : le rapport entre la foi et la vie n’est plus visible. Cela est palpable chez les générations intermédiaires, les 15-50 ans. Une telle situation est gravissime. Ces générations ne sont pas opposées à la foi. Elles n’en voient simplement pas l’« avantage ». Ces générations sont parfois fatiguées du « métier de vivre », sur le plan affectif, professionnel, éducatif. Ils ne voient simplement pas la valeur de la référence chrétienne dans la vie quotidienne. Ce que Lubac appelait le « surnaturel » ne peut que leur paraître ajouté.
Si le Christ et l’Église sont considérés comme un « ajout », alors, lentement, ils deviennent superflus et on ne peut que s’en éloigner. Donc, il nous faut partir d’une annonce simple de la beauté, de la vérité de suivre le Christ dans toute vie humaine, dans tous les types de vie, toutes les existences.
Cela peut se vivre à travers des grands événements comme les JMJ, ou le « Parvis des Gentils » (journées d’échanges entre croyants et non-croyants tenues à Paris les 24 et 25 mars derniers, NDLR), mais il nous faut toujours aller jusqu’à toucher la personne, à travers le témoignage. L’homme d’aujourd’hui, sommé de vivre une identité individuelle très forte, doit découvrir la joie de la relation avec le Christ, et donc avec l’autre. Il s’agit là d’une grande ressource.
Sur le nouveau marché post-moderne des religions, qui/qu’est ce qui fera la différence entre le christianisme et les autres religions ?
C’est une grande question. Toutes les religions sont désormais perçues comme différentes mais égales. Pour ma part, je pense que, paradoxalement, dans ce contexte, nous sommes appelés à la « confrontation » avec toutes les autres religions, sachant que nous sommes tous impliqués dans la conception de la « vie bonne » au sein d’une société plurielle.
Cette confrontation n’implique pas la recherche d’un espace neutre ou d’un plus petit dénominateur commun, au contraire. Chaque homme religieux doit témoigner, raconter, se dire à l’autre avec toute la force de sa propre expérience religieuse.
C’est sur ce fondement que peut mûrir une confrontation féconde. Il s’agit donc d’un dialogue à 360 °. On peut le percevoir dans le choix de Benoît XVI d’appeler à une nouvelle phase du dialogue interreligieux. Mais un tel dialogue, comme le démontre la vie de tous les jours, ne demande pas à chacun d’entre nous de réduire son propre profil, sa propre identité.
Ce dernier mot est difficile à prononcer. Il doit être envisagé de façon dynamique. Au fond, tout cela ne devrait pas faire difficulté, parce que la foi est toujours incarnée dans des personnes, dans un peuple, donc dans une religion. Il est inévitable que la foi aboutisse à la religion, mais il est toujours nécessaire que la foi purifie la religion. Simplement parce que nous sommes des hommes ! On a bien vu comment la Révolution française, voulant créer une véritable religion laïque, n’a pu éviter la création d’un autre culte.
En tant que chrétien, chaque jour, je dois vivre le lien entre foi et religion, je dois purifier mes comportements religieux personnels et collectifs. Et vice versa, ma foi ne peut éviter d’être incarnée dans un peuple, une culture, dans une religion. C’est dans ce cadre que je dois pouvoir me comparer aux autres religions. Prenons l’exemple de l’islam, quasiment inconnu chez nous, en Italie, il y a quinze ans. Face à cela, moi, homme de foi, conscient de mon appartenance religieuse, je peux entamer une comparaison, avec l’islam, un dialogue au sens fort.
Doit-on se comparer, se confronter ou dialoguer avec les autres religions ?
Notre « Je » est toujours un « Je » en relation. D’un point de vue existentiel, je me rapporte à d’autres croyants, en nourrissant ma façon d’affronter l’expérience humaine commune. Tous les hommes, sous toutes les latitudes, vivent une expérience commune. Sur un plan plus objectif, il nous faut surmonter la fausse proposition selon laquelle toutes les religions seraient dans le même temps diverses et égales.
Par exemple, je suis convaincu que face aux grandes questions « Pourquoi Dieu ? », « Qui est Dieu ? », le christianisme donne une réponse convaincante par rapport aux autres religions. Il respecte les éléments de vérité qui sont dans toutes les religions, mais marque également sa différence objective.
Le principe trinitaire propose une explication convaincante à la grande question de la Création et de la raison d’être du monde. Car sans différence, pas de création. La Trinité est ainsi une clef. Jésus, les mystères de sa vie, a ainsi des implications très concrètes dans notre vie. Par exemple, dans notre société, il est aujourd’hui très difficile, simplement, de provoquer une réflexion sur la différence sexuelle.
L’Occident, en gommant la notion de Dieu trinitaire, est à la peine pour évoquer, penser, la différence sexuelle. Cette altérité doit être considérée en lien avec la Trinité. En effet l’idée de différence est introduite en Occident de concert avec la pensée trinitaire. Il y a là une véritable implication anthropologique du mystère de la Trinité. Pour le penseur Guardini, la Trinité peut même être analysée comme clé de compréhension d’une authentique société civile. Parce qu’elle demande le maximum de communion, de relation, tout en respectant absolument la singularité de la personne. Une bonne société civile doit accomplir ces deux choses. Ainsi, les mystères de la foi (vie de Jésus, eschatologie etc..) sont à même de fournir des clés anthropologiques répondant aux grandes questions de la vie, de l’amour et de la mort. Ce raisonnement peut également s’appliquer à la vie sociale, à l’écologie.
Parmi les points d’achoppement figure la dissociation définitive entre sexualité, reproduction et mariage..
Habituellement, je parle de mystère nuptial pour décrire l’intrication, la relation objective, entre la différence sexuelle, à laquelle nous sommes tous confrontés, qui ouvre à la relation, et l’amour ouvert à la vie. C’est une réalité profondément ancrée dans l’action humaine qui ne fait jamais abstraction du corps.
Aujourd’hui, de fait, on peut séparer ces dimensions. Mais nous pouvons dire, objectivement, qu’il vaut mieux ne pas les séparer. Cette question s’étend à toutes les possibilités offertes par les nouvelles technologies. L’homme doit-il se soumettre à cette sorte d’impératif technologique : « Si je le peux, le dois-je ? » Certes, Dieu n’est pas jaloux de l’homme. Mais sa liberté doit exalter sa responsabilité. L’une et l’autre vont de pair.
Comment se dire chrétien ?
Désormais, le christianisme, dans nos sociétés, ne sera plus simplement un fait d’état civil, mais concrètement le résultat d’un choix conscient. D’où l’importance du témoignage. Le grand langage que le christianisme doit parler, c’est le témoignage. Pour nous, Jésus, par sa vie, est la vérité personnelle, vivante et absolue. Il se remet entre les mains de l’homme et de sa liberté. Au point que l’homme l’a mis en croix.
La force chrétienne est la proposition et le témoignage. Le témoignage n’est pas seulement un bel exemple, c’est beaucoup plus. C’est une méthode de connaissance de la réalité, et donc de communication de la vérité. Et tout témoignage est simultanément personnel et communautaire. D’où la grande question de la crédibilité de l’Église. Son devoir est de laisser transparaître Jésus-Christ sur son visage. Rien d’autre.
Nous devons retrouver le chemin d’une simplification de l’annonce. Les grands ordres religieux, en particulier en France, ont manifesté, dans leur histoire, la capacité culturelle du christianisme à accueillir les changements. L’Église a besoin de sujets vivants à même de simplifier le témoignage, le réduisant à l’essentiel, à ce qu’en disent les Actes des Apôtres : la fraction du pain, la prière, l’enseignement des Apôtres, la communion.
Une expérience vitale qui se reflète avec intelligence dans la réalité, et permet de communiquer aux hommes la beauté, la vérité et l’abondance de la vie chrétienne. Le premier pas de la nouvelle culture doit être vers le sujet. Nous devons être enracinés dans la liturgie eucharistique, illuminés de la Parole de Dieu, ouverts à l’expérience de la gratuité, passionnés par le Christ, ouverts à 360 ° pour communiquer tout cela à tous. Sans peur aucune de la réaction des autres. Maritain déclarait : qui se pose dans un certain sens s’oppose !
Les réveils démocratiques au Proche-Orient sont-ils prometteurs ?
En tant que chrétiens, nous devons y être très attentifs. Car il ne s’agit pas seulement d’un vent de liberté, mais aussi, comme on a souvent fait observer à travers le travail de la Fondation Oasis (fondation internationale, initiée par le cardinal Scola, pour la rencontre entre chrétiens et musulmans, NDLR.), de l’émergence d’une dialectique intellectuelle au sein de l’islam. Ce qui se passe aujourd’hui pourrait bien être le début d’un processus de la plus grande importance pour le futur dans le monde islamique, et par conséquent pour la possibilité d’un « vivre ensemble » pacifique entre les religions, d’une citoyenneté pleine pour tous, d’une liberté religieuse pleine pour tous. Le signe en sera la reconnaissance de la liberté de conversion.
Recueilli par FRÉDÉRIC MOUNIER (à Venise)